“Rapport sur moi” de Grégoire Bouillier (2002)
Publié aux éditions Allia. Une édition poche est également disponible chez “J’ai Lu” depuis le 10 juin 2020.
Un ami de l’époque adolescente m’avait tout simplement dit, lors d’une conversation au bord du lac : «Faudrait que tu lises un livre…» Il m’avait donné le titre, il m’a dit où je pouvais le trouver et il n’en a pas fallu plus pour que j’aille me le procurer. À l’époque, les choses paraissaient plus faciles : j’avais plus d’argent, plus de temps et moins de livres à lire !
Je suis entré dans la grande librairie. J’ai assez rapidement trouvé ce que je cherchais. J’ai retourné ce livre et il était simplement inscrit au dos : «Ce sont des choses qui arrivent.»
Puis, j’ai parcouru quelques pages et je suis tombé sur : «L’histoire se répète de manière caricaturale, ricanais-je tout haut dans les rues. Avant de me dire que c’est peut-être la répétition qui fait l’histoire.» Et je l’ai acheté.
Premier roman dit de “nouvelle génération”, cette histoire me semble être une histoire parmi tant d’autres.
Ni autobiographie, ni roman, ni autofiction, “Rapport sur moi” inaugurait un genre nouveau dans le paysage littéraire contemporain à l’époque de sa sortie. Entre manuel de survie et véritable odyssée miniature, l’auteur scrute, avec autant de sincérité que d’humour, quarante années d’une existence accidentée. Il met au jour des lois qui la régissent mystérieusement, faisant ainsi se rejoindre l’intime et l’universel.
Une belle réussite pour un premier roman ! Le récit sous forme fragmentaire du passage de l’enfance à l’âge adulte, à travers une succession de scènes souvent cruelles.
Comment l’auteur est-il devenu adulte et écrivain ? Voilà le sujet de ce petit livre.
Grégoire Bouillier nous dit tout ou presque ! Disons qu’il nous dit tout ce qu’il veut de sa prime jeunesse. Né dans une famille aimante, mais parfois mal aimante, avec des parents libérés sur le plan moral, mais une mère dépressive, il découvrira, peu à peu, la sexualité et entrera dans la vie adulte avec difficulté. La littérature a donné un grand sens à sa vie, apparemment.
C’est écrit relativement froidement, mais la sensibilité est sous-jacente. Pour reprendre le titre de l’auteur, il s’agit d’un rapport sur lui-même. Il y a des romans d’apprentissage, mais, là, on a plutôt droit à un rapport d’apprentissage.
Ce court ouvrage, salué du prix bien mérité de Flore en 2002, est à distinguer, davantage pour la forme que pour le fond. Il s’agit en effet d’une autobiographie distanciée comme le titre tente de nous faire comprendre. Il est très dur de ne pas du tout apprécier ce texte.
Grégoire Bouillier continuera dans cette veine, d’après ce que j’ai pu lire sur lui, mais je n’ai pas lu d’autre livre de lui pour l’instant.
Étrange univers que celui de l’auteur qui utilise beaucoup les procédés de retours en arrière ou de sauts en avant, et ce non par goût du complexe, mais bel et bien comme outil indispensable à ce qu’il veut nous faire comprendre, à savoir qu’il est possible de mettre en résonance, soit linguistique, soit par similarité, les évènements de la vie.
Ainsi est-il très attentif à la coïncidence des dates, aux circonstances particulières des rencontres, aux mots qui désignent les choses avec insistance, toujours les mêmes au fil du temps. Et je me reconnais en lui, j’avoue. C’est sans doute pour cela aussi que ce livre m’a tant touché. C’est une technique narrative qui n’est pas uniquement esthétique, encore qu’il soit bien possible que G. Bouillier cherche à introduire de l’art dans sa vie.
L’autobiographie est en réalité l’occasion de faire un travail de fond sur les relations des évènements et de leur sens. Tout fait signe. Les coïncidences n’en sont plus et deviennent presque des synchronicités.
Brillant petit objet littéraire, où l’auteur parle de lui et de ses proches, sautant d’un sujet à l’autre, avec légèreté, bien qu’évoquant des sujets graves. Avec son sens de la formule, Grégoire Bouillier nous arrache parfois un grand sourire, manie l’autodérision comme personne et sait se livrer sans fard et sans prétention. On a envie de connaître le bonhomme, parfois lâche, parfois sensible, assez meurtri (énormément même), et pourtant si lumineux !
Des phrases interpellantes et une écriture alerte m’ont emmenée d’un bout à l’autre de ce livre en un seul souffle. Souffle et non respiration, car l’univers et les sentiments décrits m’étaient inconnus à l’époque. Ce “Rapport sur moi” appartient à Grégoire Bouillier et ses particularités nous parlent, voire nous choquent. Tout au long de cette lecture où les “Choses de cette vie” sont dites froidement et sobrement, des références psychanalytiques sont présentes, il pourrait constituer une référence d’analyse. A chaque fois, entre enfance et âge adulte, la boucle est bouclée. Tout se joue dès notre âge le plus tendre. Quelle responsabilité ont les parents, les adultes et la société (école, etc.) ? Tout au long de cet écrit, une famille se déchire, se malmène… et s’aime… forcément ! Tous ont un problème de mal être et le héros n’y échappe que par sa conscience des faits. Même si nous avons plutôt à faire avec un anti-héros (ou affaire à un anti-héros, les deux sont justes), ses parents sont échangistes, sa mère est suicidaire, son frère est gay. Il découvrira toutes ces facettes de sa famille, par surprise.
Le narrateur fait un résumé de sa vie dans un ordre chrono-illogique, mais assez rafraîchissant. Il fait un peu de l’ordre de ses pensées. J’ose espérer que c’est une fiction, sinon cela veut dire qu’il a eu une initiation sexuelle un peu malsaine, du genre familiale. Oui, il y a effectivement de l’inceste dans ce texte. Mais, malheureusement, oui : ce sont ses choses qui arrivent (tous les jours).
Rythmé de courts paragraphes, ce qui rend assez facile la lecture, ce livre est comme la confession qu’un ami nous ferait un soir de pluie au fond d’un bar glauque après plusieurs verres. Il nous relate ses expériences d’enfant et ses déboires, ce qu’il a fait pour s’améliorer et comment ses efforts se sont soldés par des échecs inattendus.
Références et liens cocasses et intéressants, roman drôle et choquant qui se lit d’une traite et qui déroute tellement il est criant de vérité. Un livre que je relirai sans problème.
Comment se sent-on à la sortie de cette lecture? Tout dépend de notre vécu. Je recommande vivement ce livre qui apporte la preuve que pour faire de la vraie littérature, point n’est besoin de sensationnel, ou de sujets à la mode, le quotidien y suffit. Bouillier y excelle.
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